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LES ROUGON-MACQUART.

étalaient leurs plaisirs champêtres, elle étouffait, prise d’un besoin de plein ciel, rêvant de grandes herbes où elle entrait jusqu’aux épaules, d’arbres géants dont les ombres coulaient sur elle comme une eau fraîche. Son enfance, passée dans les verdures grasses du Cotentin, s’éveillait, avec le regret du soleil.

— Eh bien ! oui, dit-elle enfin.

Tout fut réglé. Baugé devait venir prendre ces demoiselles à huit heures, sur la place Gaillon ; de là, on irait en fiacre à la gare de Vincennes. Denise, dont les vingt-cinq francs d’appointements fixes étaient chaque mois dévorés par les enfants, n’avait pu que rafraîchir sa vieille robe de laine noire, en la garnissant de biais de popeline à petits carreaux ; et elle s’était fait elle-même un chapeau, avec une forme de capote recouverte de soie et ornée d’un ruban bleu. Dans cette simplicité, elle avait l’air très jeune, un air de fille grandie trop vite, d’une propreté de pauvre, un peu honteuse et embarrassée du luxe débordant de ses cheveux, qui crevaient la nudité de son chapeau. Au contraire, Pauline étalait une robe de soie printanière, à raies violettes et blanches, une toque appareillée, chargée de plumes, des bijoux au cou et aux mains, toute une richesse de commerçante cossue. C’était comme une revanche de la semaine, de la soie le dimanche, lorsqu’elle se trouvait condamnée à la laine dans son rayon ; tandis que Denise, qui traînait sa soie d’uniforme du lundi au samedi, reprenait le dimanche la laine mince de sa misère.

— Voilà Baugé, dit Pauline, en désignant un grand garçon, debout près de la fontaine.

Elle présenta son amant, et tout de suite Denise fut à son aise, tellement il lui parut brave homme. Baugé, énorme, d’une force lente de bœuf au labour, avait une longue face flamande, où des yeux vides riaient avec