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AU BONHEUR DES DAMES.

peu inquiet, comprit qu’il s’agissait d’abord d’une fourniture pour celles-ci. Des paroles à demi-voix s’échangeaient, madame Desforges conseillait son amie.

— Oh ! sans doute, murmurait-elle, une soie de cinq francs soixante n’en vaudra jamais une de quinze, ni même une de dix.

— Elle est bien chiffon, répétait madame Marty. J’ai peur que, pour un manteau, elle n’ait point assez de corps.

Cette remarque fit intervenir le vendeur. Il avait une politesse exagérée d’homme qui ne peut se tromper.

— Mais, madame, la souplesse est la qualité de cette soie. Elle ne se chiffonne pas… C’est absolument ce qu’il vous faut.

Impressionnées par une telle assurance, ces dames se taisaient. Elles avaient repris l’étoffe, l’examinaient de nouveau, lorsqu’elles se sentirent touchées à l’épaule. C’était madame Guibal qui, depuis une heure, marchait dans le magasin, d’un pas de promenade, donnant à ses yeux la joie des richesses entassées, sans acheter seulement un mètre de calicot. Et il y eut encore là une explosion de bavardages.

— Comment ! c’est vous !

— Oui, c’est moi, un peu bousculée seulement.

— N’est-ce pas ? il y a un monde, on ne circule plus… Et le salon oriental ?

— Ravissant !

— Mon Dieu ! quel succès !… Restez donc, nous irons là-haut ensemble.

— Non, merci, j’en viens.

Hutin attendait, cachant son impatience sous le sourire qui ne quittait pas ses lèvres. Est-ce qu’elles allaient le tenir longtemps là ? Les femmes vraiment se gênaient peu, c’était comme si elles lui avaient volé de l’argent dans sa bourse. Enfin, madame Guibal s’éloigna, continua