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AU BONHEUR DES DAMES.

de Boves mangeait encore un baba, pendant qu’Henriette, qui s’était levée, causait à demi-voix avec le baron, dans l’embrasure d’une fenêtre.

— Il est charmant, dit le baron.

— N’est-ce pas ? laissa-t-elle échapper, dans un cri involontaire de femme amoureuse.

Il sourit, il la regarda avec une indulgence paternelle. C’était la première fois qu’il la sentait conquise à ce point ; et, trop supérieur pour en souffrir, il éprouvait seulement une compassion, à la voir aux mains de ce gaillard si tendre et si parfaitement froid. Alors, il crut devoir la prévenir, il murmura sur un ton de plaisanterie :

— Prenez garde, ma chère, il vous mangera toutes.

Une flamme de jalousie éclaira les beaux yeux d’Henriette. Elle devinait sans doute que Mouret s’était simplement servi d’elle pour se rapprocher du baron. Et elle jurait de le rendre fou de tendresse, lui dont l’amour d’homme pressé avait le charme facile d’une chanson jetée à tous les vents.

— Oh ! répondit-elle, en affectant de plaisanter à son tour, c’est toujours l’agneau qui finit par manger le loup.

Alors, très intéressé, le baron l’encouragea d’un signe de tête. Elle était peut-être la femme qui devait venir et qui vengerait les autres.

Lorsque Mouret, après avoir répété à Vallagnosc qu’il voulait lui montrer sa machine en branle, se fut approché pour dire adieu, le baron le retint dans l’embrasure de la fenêtre, en face du jardin noir de ténèbres. Il cédait enfin à la séduction, la foi lui était venue, en le voyant au milieu de ces dames. Tous deux causèrent un instant à voix basse. Puis, le banquier déclara :

— Eh bien ! j’examinerai l’affaire… Elle est conclue,