Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/94

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ont écrit pour les hommes de nos jours ; leur Germinie n’aurait pu vivre à aucune autre époque que la nôtre ; elle est fille du siècle. Le style même des écrivains, leur procédé a je ne sais quoi d’excessif qui accuse une sorte d’exaltation morale et physique ; c’est tout à la fois un mélange de crudité et de délicatesses, de miévreries et de brutalités, qui ressemble au langage doux et passionné d’un malade.

Je définirai l’impression que m’a produite le livre, en disant que c’est le récit d’un moribond dont la souffrance a agrandi les yeux, qui voit face à face la réalité, et qui nous la donne dans ses plus minces détails, en lui communiquant la fièvre qui agite son corps et les désespoirs qui troublent son âme.

Pour moi, l’œuvre est grande, en ce sens qu’elle est, je le répète, la manifestation d’une forte personnalité, et qu’elle vit largement de la vie de notre âge. Je n’ai point souci d’autre mérite en littérature. Mademoiselle de Varandeuil, la vieille fille austère, a pardonné ; je vais m’agenouiller à son côté, sur la fosse commune, et je pardonne comme elle à cette pauvre Germinie, qui a tant souffert dans son corps et dans son cœur.