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terrible a labouré sa face et dressé ses cheveux. Puis, lorsque, le lendemain, la vieille fille apprend tout, elle se révolte contre tant de mensonges et tant de débauches ; le dégoût lui fait maudire Germinie. Mais le pardon est doux aux bonnes âmes. Mademoiselle de Varandeuil se souvient du regard et du sourire de la pauvre morte ; elle se rappelle avoir vu en elle une telle tristesse, un tel dévouement, qu’une immense pitié lui vient et qu’elle se sent le besoin de pardonner, se disant que les morts que l’on maudit doivent dormir d’un mauvais sommeil. Elle va au cimetière, elle qui a la religion des tombeaux, et cherche une croix sur la fosse commune ; ne pouvant trouver, elle s’agenouille entre deux croix portant les dates de la veille et du lendemain de l’enterrement de Germinie. « Pour prier sur elle, il fallait prier au petit bonheur entre deux dates, — comme si la destinée de la pauvre fille avait voulu qu’il n’y eût, sur la terre, pas plus de place pour son corps que pour son cœur. »

Telle est cette œuvre, qui va sans doute être vivement discutée. J’ai pensé qu’on ne pouvait bien la juger que sur une analyse complète. Elle contient, je l’avoue, des pages d’une vérité effrayante, les plus remarquables peut-être comme éclat et comme vigueur ; elle a une franchise brutale qui blessera les lecteurs délicats. Pour moi, j’ai déjà dit combien je me sentais attiré par ce roman, malgré ses crudités, et je voudrais pouvoir le défendre contre les critiques qui se produiront certainement.