Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cheter le jeune homme. Sa vie entière est engagée, elle se doit à sa dette ; elle a donné à son amant plus que le présent, elle a donné l’avenir.

C’est alors qu’elle acquiert la certitude complète de son abandon ; elle rencontre Jupillon avec une autre femme, et n’obtient des rendez-vous avec lui qu’à prix d’argent. Elle boit davantage, elle a horreur d’elle-même ; mais elle ne peut s’arrêter dans le sentier sanglant qu’elle descend. Un jour, elle vole vingt francs à mademoiselle de Varandeuil pour les donner à Jupillon. C’est ici le point extrême, Germinie ne saurait aller plus loin. Elle ment par amour, elle se dégrade par amour, elle vole par amour. Mais elle ne peut voler deux fois, et Jupillon la fait mettre à la porte par une de ses maîtresses.

Les chutes morales suivent les chutes physiques. L’intelligence abandonne Germinie, la pauvre fille devient malpropre et presque idiote. Elle serait morte vingt fois, si elle n’avait à son côté une personne qui pût encore la respecter et la chérir. Ce qui la soutient, c’est l’estime de mademoiselle de Varandeuil. Les auteurs ont bien compris que l’estime lui était nécessaire, et ils lui ont donné pour compagne une femme qui ignore. Je ne puis m’empêcher de citer quelques lignes qui montrent combien Germinie se débattait dans son avilissement. « Elle cédait à l’entraînement de la passion ; mais aussitôt qu’elle y avait cédé, elle se prenait en mépris. Dans le plaisir même, elle ne pouvait s’oublier entièrement et se perdre. Il se levait toujours dans sa distraction l’image de ma-