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blera toute sa vie de perdre l’amitié de sa maîtresse, si quelque bruit de ses amours venait jusqu’à elle ; et, dans son agonie, elle emportera comme suprême châtiment, la pensée que la pauvre vieille, en apprenant tout, ne viendra pas prier sur sa tombe.

Au premier jour, avant toute souillure volontaire, lorsqu’elle ne connaît encore de l’homme que la violence, Germinie devient dévote. « Elle va à la pénitence comme on va à Tamour. » Ce sont là les premières tendresses de toutes les femmes sensuelles. Elles se jettent dans l’encens, dans les fleurs, dans les dorures des églises, attirées par l’éclat et le mystèra du culte. Quelle est la jeune fille qui n’est pas un peu amoureuse de son confesseur ? Germinie trouve dans le sien un bon cœur qui s’intéresse à ses larmes et à ses joies ; elle aime éperdûment cet homme qui la traite en femme. Mais elle se retire bientôt, dévorée de jalousie, le jour où elle rencontre un prêtre au lieu de l’homme qu’elle cherchait.

Elle a besoin de se dévouer, si ce n’est d’aimer. Elle donne ses gages à son beau-frère, qui spécule sur elle, en l’apitoyant sur le sort d’une de ses nièces qu’elle lui a confiée. Puis, elle apprend que cette nièce est morte, et son cœur est vide de nouveau.

Elle rencontre enfin l’homme qui doit tuer son cœur, lui mettre sur les épaules la croix qu’elle portera la vie entière. Cet homme est le fils d’une crémière voisine, madame Jupillon ; elle le connaît presque enfant et se met à l’aimer sans en avoir conscience. Par la jalousie irraisonnée, elle sauve des caresses