Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/83

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minie reste vingt ans au service de cette femme, qui ne vit plus que par le souvenir. Une moitié du roman se passe dans la chambre étroite, froide et recueillie, où se tient paisiblement assise la vieille demoiselle, ignorante des âpretés de l’amour, se mourant avec la tranquillité des vierges ; l’autre moitié court les rues, a les frissons et les cris de la débauche, se roule dans la fange. Les auteurs, en plein drame, ouvrent parfois une échappée sur le foyer à demi éteint, auprès duquel sommeille mademoiselle de Varandeuil, et il y a je ne sais quelle douceur infinie à passer des horreurs de la chair à ce spectacle d’une créature plus qu’humaine, qui s’endort dans sa chasteté. Cette figure de vieille fille a plus de hauteur que celle de la jeune bonne hystérique ; toutefois, elle est également hors nature, elle se trouve placée à l’autre extrémité de l’amour ; il y a eu, devant le désir, abus de courage chez elle, de même qu’il y a eu chez Germinie abus de lâcheté. Aussi souffrent-elles toutes deux dans leur humanité : l’une est frappée de mort à quarante ans, l’autre traîne une vieillesse vide, n’ayant pour amis que des tombeaux.

Germinie va donc avoir deux existences ; elle va, pendant vingt ans, épuiser sa double nature, contenter les deux besoins qui l’aident à vivre : se dévouer, aimer sa maîtresse comme une mère, et se livrer aux emportements de sa passion, aux feux qui la brûlent. Elle vivra ses nuits dans les transports de voluptés terribles ; elle vivra ses jours dans le calme d’une affection prévenante et inépuisable. La punition de ses nuits sera précisément ses jours ; elle trem-