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gique, d’un cas de maladie physique et morale, d’une histoire qui doit être vraie. Le voici, scène par scène ; je désire le mettre en son entier sous les yeux du lecteur, pour qu’il soit beaucoup pardonné à Germinie, qui a beaucoup aimé et beaucoup souffert.

Elle vient à Paris à quatorze ans. Son enfance a été celle de toutes les petites paysannes pauvres, des coups et de la misère ; une vie de bête chétive et souffrante. À Paris, elle est placée dans un café du boulevard, où les pudeurs de ses quinze ans s’effrayent au contact des garçons. Tout son être se révolte à ces premiers attouchements ; elle n’a encore que des sens, et le premier éveil de ces sens est une douleur. C’est alors qu’un vieux garçon de café la viole et la jette à la vie désespérée qu’elle va mener. Ceci est le prologue.

Au début du roman, Germinie est entrée comme domestique chez mademoiselle de Varandeuil, vieille fille noble qui a sacrifié son cœur à son père et à ses parents. Le parallèle entre la domestique et la maîtresse s’impose forcément à l’esprit ; les auteurs n’ont pas mis sans raison ces deux femmes en face l’une de l’autre, et ils ont fait preuve de beaucoup d’habileté dans l’opposition de ces deux figures qui se font valoir mutuellement, qui se complètent et s’expliquent. Mademoiselle de Varandeuil a eu le dévouement de Germinie, sans en avoir les fièvres ; elle a pu faire abnégation de son corps, vivre par la seule affection qu’elle portait aux gens qui l’entouraient ; elle a vieilli dans le courage et l’austérité,’sans grandes luttes, ne faiblissant jamais, trouvant un pardon pour toutes les faiblesses. Ger-