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lescent frémissant et fier écoutant les paroles de mort de la voyante, me paraissent des oppositions et des rapprochements très réussis et mis en œuvre par un esprit vigoureux qui a le sens du pittoresque. Les paysages aussi ne manquent pas d’étendue ni de vérité ; la description de l’étang du Quesnay est une peinture grasse et solide, d’une ampleur remarquable. Chaque détail, dans le roman, a ainsi son relief fortement accusé ; chaque personnage, chaque objet est compris avec une vive intelligence artistique et se trouve rendu avec une grande allure. Mais M. Barbey d’Aurevilly compromet ses qualités d’écrivain original par une telle déraison, qu’il faut beaucoup aimer le tempérament chez un artiste pour découvrir, sous l’effrayant chaos de ses phrases, les horizons larges des campagnes, les silhouettes nettes et fermes des personnages. Il donne trop facilement raison à la critique timide et pédante, et je comprends qu’il y ait des gens qui le nient. Moi, je me contenterai de lui dire que l’effort n’est pas la force, que l’étrangeté n’est pas l’originalité. Ce ne peut être là la libre expression d’une personnalité d’artiste. Il tend ses nerfs, il arrive à la grimace et au balbutiement ; il exagère ses instincts, il tiraille son intelligence, et, dans cette tension, dans cette lutte de tout son être, il monte jusqu’à la démence. Ce grincement général de l’œuvre est d’autant moins agréable qu’il n’est pas naturel. Je voudrais lire un livre écrit sans parti pris par M. Barbey d’Aurevilly, et je suis certain qu’il y resterait encore assez de saveur person-