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prêtre marié : — la science est maudite, savoir c’est ne plus croire, l’ignorance est aimée du ciel ;  — les bons payent pour les méchants, l’enfant expie les fautes du père ; — la fatalité nous gouverne, ce monde est un monde d’épouvante livré à la colère d’un Dieu et aux caprices d’un démon. Telles sont en substance les pensées de l’auteur. Énoncer de pareilles propositions, c’est les réfuter. D’ailleurs le grand débat porte sur le sujet même du livre, sur ce mariage du prêtre qui paraît un si gros sacrilège à M. Barbey d’Aurevilly, et qui me semble, à moi, un fait naturel, très humain en lui-même, ayant lieu dans les religions sans que les intérêts du ciel en souffrent.

Il est difficile, d’ailleurs, de juger froidement une œuvre semblable, produit d’un tempérament excessif. Tous les personnages sont plus ou moins malades, plus ou moins fous ; les épisodes galopent eux-mêmes en pleine démence. Le livre entier est une sorte de cauchemar fiévreux, un rêve mystique et violent. De telles pages auraient dû être écrites il y a quelques cents ans, dans une époque de terreur et d’angoisse, lorsque la raison du moyen âge chancelait sous d’absurdes croyances. Une intelligence détraquée de ces misérables temps, un esprit perdu de mysticisme et de fatalisme, une âme qui ne distingue plus entre le sorcier et le prêtre, entre la réalité et le songe, aurait pu à la rigueur se permettre une pareille débauche de folie. Au point de vue artistique, je comprends et j’admets encore ce livre étrange ; l’insanité lui est permise, il peut à son gré divaguer et mentir ; il n’attaque après