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tureuses et largement fécondes. Trapu et vigoureux, il avait l’âpre désir de serrer entre ses bras la nature vraie ; il voulait peindre en pleine viande et en plein terreau.

La jeune génération, je parle des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans, ne connaît presque pas Courbet. Il m’a été donné de voir rue Hautefeuille, dans l’atelier du maître, pendant une de ses absences, certains de ses premiers tableaux. Je me suis étonné, et je n’ai pas trouvé le plus petit mot pour rire dans ces toiles graves et fortes dont on m’avait fait des monstres. Je m’attendais à des caricatures, à une fantaisie folle et grotesque, et j’étais devant une peinture serrée et large, d’un fini et d’une franchise extrêmes.

Les types étaient vrais, sans être vulgaires ; les chairs, fermes et souples, vivaient puissamment ; les fonds s’emplissaient d’air et donnaient aux figures une vigueur étonnante. La coloration, un peu sourde, a une harmonie presque douce, tandis que la justesse des tons et l’ampleur du métier établissent les plans et font que chaque détail a un relief étrange. En fermant les yeux, je revois ces toiles énergiques, d’une seule masse, bâties à chaux et à sable, réelles jusqu’à la vérité. Courbet appartient à la famille des faiseurs de chair.

Certes, je ne puis être accusé de mesurer l’éloge au maître. Je l’aime dans sa puissance et sa personnalité.