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qui s’essayait plutôt à la dompter, à lui imposer son tempérament.

C’est dans cet atelier que j’ai compris complètement M. Manet. Je l’avais aimé d’instinct ; dès lors, j’ai pénétré son talent, ce talent que je vais tâcher d’analyser. Au Salon, ses toiles criaient sous la lumière crue, au milieu des images à un sou qu’on avait collées au mur autour d’elles. Je les voyais enfin à part, ainsi que tout tableau doit être vu, dans le lieu même où elles avaient été peintes.

Le talent de M. Manet est fait de simplicité et de justesse. Sans doute, devant la nature incroyable de certains de mes confrères, il se sera décidé à interroger la réalité, seul à seul ; il aura refusé toute la science acquise, toute l’expérience ancienne, il aura voulu prendre l’art au commencement, c’est-à-dire à l’observation exacte des objets.

Il s’est donc mis courageusement en face d’un sujet, il a vu ce sujet par larges taches, par oppositions vigoureuses, et il a peint chaque chose telle qu’il la voyait. Qui ose parler ici de calcul mesquin, qui ose accuser un artiste consciencieux de se moquer de l’art et de lui-même ? Il faudrait punir les railleurs, car ils insultent un homme qui sera une de nos gloires, et ils l’insultent misérablement, riant de lui qui ne daigne même pas rire d’eux. Je vous assure que vos grimaces et que vos ricanements l’inquiètent peu.

J’ai revu le Dîner sur l’herbe, ce chef-d’œuvre ex-