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des élégies, ni des chansons grivoises, ni des fables.

Quel charivari !

Par grâce, peignez, puisque vous êtes peintres, ne chantez pas. Voici de la chair, voici de la lumière : faites un Adam qui soit votre création. Vous devez être des faiseurs d’hommes, et non pas des faiseurs d’ombres. Mais je sais que dans un boudoir un homme tout nu est peu convenable. C’est pour cela que vous peignez de grands pantins grotesques qui ne sont pas plus indécents et pas plus vivants que les poupées en peau rose des petites filles.

Le talent procède autrement, voyez-vous. Regardez les quelques toiles remarquables du Salon. Elles font un trou dans la muraille, elles sont presque déplaisantes, elles crient dans le murmure adouci de leurs voisines. Les peintres qui commettent de pareilles œuvres, sont en dehors de la corporation des badigeonneurs élégants dont j’ai parlé. Ils sont peu nombreux, ils vivent d’eux-mêmes, en dehors de toute école.

Je l’ai déjà dit, on ne peut accuser le jury de la médiocrité de nos peintres. Mais, puisqu’il croit avoir charge d’être sévère, pourquoi ne nous épargne-t-il pas la vue de toutes ces niaiseries ? Si vous n’admettez que les talents, une salle de trois mètres carrés suffira.

Ai-je été si révolutionnaire, en regrettant les quelques tempéraments qui ne figurent pas au Salon ? Nous ne sommes pas si riches en individualités, pour refuser celles qui se produisent. D’ailleurs, je le sais, les tempéraments ne meurent pas d’un refus. Je dé-