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Je ne veux pas de tout ce qui n’est point vie, tempérament, réalité !

Et, maintenant, je vous en supplie, ayez pitié de moi. Songez à tout ce qu’a dû souffrir hier un tempérament bâti comme le mien, égaré dans la vaste et morne nullité du Salon. Franchement, j’ai eu un moment la pensée de lâcher la besogne, prévoyant trop de sévérité.

Mais ce n’est point les artistes que je vais blesser dans leurs croyances, ce sont eux qui viennent de me blesser bien plus vivement dans les miennes ! Mes lecteurs comprennent-ils ma position, se disent-ils : « Voilà un pauvre diable qui est tout écœuré, et qui retient ses nausées pour garder la décence qu’il doit au public ? »

Jamais je n’ai vu un tel amas de médiocrités. Il y a là deux mille tableaux, et il n’y a pas dix hommes. Sur ces deux mille toiles, douze ou quinze vous parlent un langage humain ; les autres vous content des niaiseries de parfumeurs. Suis-je trop sévère ? Je ne fais pourtant que dire tout haut ce que les autres pensent tout bas.

Je ne nie pas notre époque, au moins. J’ai foi en elle, je sais qu’elle cherche et qu’elle travaille. Nous sommes dans un temps de luttes et de fièvres, nous avons nos talents et nos génies. Mais je ne veux pas qu’on confonde les médiocres et les puissants, je crois qu’il est bon de ne point avoir cette indulgence indifférente qui donne un mot d’éloge à tout le monde, et qui, par là même, ne loue personne.