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moi, qui déclare subordonner le réel au tempérament. Faites vrai, j’applaudis ; mais surtout faites individuel et vivant, et j’applaudis plus fort. Si vous sortez de ce raisonnement, vous êtes forcé de nier le passé et de créer des définitions que vous serez forcé d’élargir chaque année.

Car c’est une autre bonne plaisanterie de croire qu’il y a, en fait de beauté artistique, une vérité absolue et éternelle. La vérité une et complète n’est pas faite pour nous qui confectionnons chaque matin une vérité que nous usons chaque soir. Comme toute chose, l’art est un produit humain, une sécrétion humaine ; c’est notre corps qui sue la beauté de nos œuvres. Notre corps change selon les climats et selon les mœurs, et la sécrétion change donc également.

C’est dire que l’œuvre de demain ne saurait être celle d’aujourd’hui ; vous ne pouvez formuler aucune règle, ni donner aucun précepte ; il faut vous abandonner bravement à votre nature et ne pas chercher à vous mentir. Est-ce que vous avez peur de parler votre langue, que vous cherchez à épeler péniblement des langues mortes !

Ma volonté énergique est celle-ci : — Je ne veux pas des œuvres d’écoliers faites sur des modèles fournis par les maîtres. Ces œuvres me rappellent les pages d’écriture que je traçais étant enfant, d’après les pages lithographiées ouvertes devant moi. Je ne veux pas des retours au passé, des prétendues résurrections, des tableaux peints suivant un idéal formé de morceaux d’idéal qu’on a ramassés dans tous les temps.