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que nous la fassions fonctionner un peu ? Prenons délicatement les roues, les petites et les grandes, celles qui tournent à gauche et celles qui tournent à droite. Ajustons-les et regardons le travail produit. La machine grince par instants, certaines pièces s’obstinent à aller selon leur bon plaisir ; mais, en somme, le tout marche convenablement. Si toutes les roues ne tournent pas, poussées par le même ressort, elles arrivent à s’engrener les unes dans les autres et à travailler en commun à la même besogne

Il y a les bons garçons qui refusent et qui reçoivent avec indifférence ; il y a les gens arrivés qui sont en dehors des luttes ; il y a les artistes du passé qui tiennent à leurs croyances, qui nient toutes les tentatives nouvelles ; il y a enfin les artistes du présent, ceux dont la petite manière a un petit succès et qui tiennent ce succès entre leurs dents, en grondant et en menaçant tout confrère qui s’approche.

Le résultat obtenu, vous le connaissez : ce sont ces salles si vides et si mornes, que nous visiterons ensemble. Je sais bien que je ne puis faire au jury un crime de notre pauvreté artistique. Mais je puis lui demander compte de tous les artistes audacieux qu’il décourage.

On reçoit les médiocrités. On couvre les murs de toiles honnêtes et parfaitement nulles. De haut en bas, de long en large, vous pouvez regarder : pas un tableau qui choque, pas un tableau qui attire. On a débarbouillé l’art, on l’a peigné avec soin ; c’est un brave bourgeois en pantoufles et en chemise blanche.