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réalité. Il faut dire à ces juges, qui vont au palais de l’Industrie défendre parfois une idée mesquine et personnelle, que les Expositions ont été créées pour donner largement de la publicité aux travailleurs sérieux. Tous les contribuables paient, et les questions d’écoles et de systèmes ne doivent pas ouvrir la porte pour les uns et la fermer pour les autres.

Je ne sais comment ces juges comprennent leur mission. Ils se moquent de la vérité et de la justice, vraiment. Pour moi, un Salon n’est jamais que la constatation du mouvement artistique ; la France entière, ceux qui voient blanc et ceux qui voient noir, envoient leurs toiles pour dire au public : « Nous en sommes là, l’esprit marche et nous marchons ; voici les vérités que nous croyons avoir acquises depuis un an. » Or, il est des hommes qu’on place entre les artistes et le public. De leur autorité toute-puissante, ils ne montrent que le tiers, que le quart de la vérité ; ils amputent l’art et n’en présentent à la foule que le cadavre mutilé.

Qu’ils le sachent, ils ne sont là que pour rejeter la médiocrité et la nullité. Il leur est défendu de toucher aux choses vivantes et individuelles. Qu’ils refusent, s’ils le veulent, — ils en ont d’ailleurs la mission, — les académies des pensionnaires, les élèves abâtardis de maîtres bâtards, mais, par grâce, qu’ils acceptent avec respect les artistes libres, ceux qui vivent en dehors, qui cherchent ailleurs et plus loin les réalités âpres et fortes de la nature.