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servirais des faits qui l’ont précédée pour l’expliquer et lui donner plus d’éclat, j’oublierais les événements qui ont pu suivre ; en un mot, je m’appliquerais à en faire la pensée de Dieu, et je n’aurais garde de monter jusqu’à César trouver des âges troubles et sanglants.

Je crois pouvoir dire que la vérité historique s’accommoderait mal de ce caprice. Je serais tenté malgré moi de forcer l’interprétation des événements, de grandir ou de diminuer l’importance des faits pour les besoins de ma cause. Je plaiderais, je ne raconterais plus. Je préfère considérer l’histoire comme une suite d’épisodes se liant les uns aux autres, s’expliquant mutuellement, mais ne se groupant pas autour d’un épisode principal. Que l’événement d’aujourd’hui soit la conséquence de l’événement d’hier, personne ne songe à le nier. Toutefois, quatre cents ans de faits ne s’acheminent pas vers un seul fait. César n’est pas le résultat immédiat et complet des premiers rois et de la république de Rome. Il n’est lui-même que l’anneau d’une chaîne qui s’allongera ; si la République le portait en elle, comme élément de sa propre dissolution, il porte en lui l’empire, Néron et Caligula, les germes de la terrible maladie qui rongera le peuple romain. Il ne faut donc pas s’arrêter complètement à cette grande figure, et mettre en elle les desseins de Dieu. J’aurais tort de ne voir que la République dans l’histoire romaine ; c’est également un tort de n’y voir que la fondation de l’Empire.