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a évidemment erreur ici. Les peuples, dans l’histoire, n’ont jamais compris les conquérants et ne les ont suivis que jusqu’à un certain moment ; ils les ont tous méconnus et combattus. Bien plus, les règnes de ces soldats ont toujours précédé des malheurs publics et des troubles. L’empire succède à César, l’anarchie et le partage du sol français à Charlemagne, la Restauration et deux Républiques à Napoléon. Ce sont les grands capitaines eux-mêmes qui ont entravé « la prompte et féconde application du bien ». Si on les avait laissés agir, ils auraient peut-être pacifié le monde en le dépeuplant ; mais on les a fait disparaître, et, chaque fois, les sociétés ont avec peine repris respiration, se remettant peu à peu de là terrible secousse. Ces hommes de génie se produisent d’ordinaire dans les époques de transition et reculent les dénoûments ; ils arrêtent le mouvement des esprits, donnent aux peuples pour quelques années une paix relative, puis leur laissent en mourant la difficulté de reprendre le problème social au point délicat que la nation étudiait avant leurs batailles et leurs conquêtes. Ils sont un arrêt dans la marche de l’humanité, par leurs instincts despotiques qui ne leur permettent pas de rester de simples guides et qui les conduisent à devenir des maîtres tout-puissants.

Peut-être l’auteur a-t-il voulu donner une leçon aux peuples de l’avenir, les conjurer de respecter les hommes providentiels qui pourraient encore se produire, et de leur laisser le temps d’accomplir leur mission entière. Hélas ! souhaitons de n’avoir pas à tenter cette