Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/249

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prends la grandeur de l’histoire ainsi considérée, mais cette grandeur m’effraye presque ; je crains que l’historien ne perde pied malgré lui, et qu’il n’exerce son sacerdoce avec une austérité trop divine. S’il n’a aucun talent, il va nécessairement tomber dans une gravité grotesque et devenir le Prudhomme de l’histoire ; s’il y a en lui l’étoffe d’un penseur et d’un écrivain, on doit redouter qu’il ne monte dans l’idéal, dans la spéculation pure, qu’il ne peigne des types, oubliant qu’il a, avant tout, à nous peindre des hommes. Certes on peut philosopher sur les annales humaines ; elles donnent matière à l’analyse et au raisonnement, mais les faits ne sont jamais que le produit des foules, et les foules ne sont composées que d’individus. Nous en revenons toujours à l’homme, non pas à l’homme providentiel, mais à l’homme tel que Dieu l’a créé, vous et moi, le prince et le sujet. J’avoue que je m’inquiète peu de « l’attrait piquant des détails sur la vie des hommes publics » ; mais ce que je désire, c’est que les hommes publics ne me soient pas présentés comme de pures abstractions ; je tiens à ce que leur conduite se trouve expliquée par leur être entier ; en un mot, je ne veux pas d’un beau mensonge, d’une figure drapée selon la convenance d’un goût personnel, je veux une créature vivante, à laquelle rien de ce qui est humain ne soit étranger. Les livres d’histoire ne sont pour moi que les mémoires de l’humanité, et j’entends trouver en eux la terre et ses instincts. Soyons réels d’abord, nous philosopherons ensuite. Ma façon d’envisager la muse sévère dont