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à cette branche de commerce qui nous a donné les Mémoires d’une femme de chambre. Que l’on flatte les sens, les curiosités impures, ou que l’on flatte les passions antireligieuses, je vous avoue que je ne vois aucune différence entre ces flatteries intéressées. Nous introduire dans les coulisses ou nous introduire dans les couvents, raconter les aventures de Margoton-la-Sauteuse ou les aventures du frère dom Gargilesse, le moine mystique et libertin, c’est chatouiller également notre sensualité et nous attacher par cet intérêt honteux que nous portons à tout fruit défendu.

Je signale à l’abbé*** un oubli grave : il a négligé de faire mettre, en tête du Maudit, un portrait photographique le montrant en soutane, le visage masqué, forçant un tabernacle ; il eût été ainsi le digne frère de cette malheureuse des Mémoires d’une femme de chambre, qui s’est fait représenter, un loup sur la face, impudique et insolente, écartant un rideau et étalant sa gorge. Tous deux ont écrit dans l’ombre, se sont adressés à nos plus mauvais instincts, ont spéculé sur leur silence même. Ce n’est pas la honte seulement qui les a empêchés de se nommer ; ils se sont tus pour mieux piquer la curiosité et pour pouvoir se vautrer plus largement dans leurs ordures. Lorsqu’on cache le visage, on peut montrer la gorge.

Peu importe que l’auteur soit laïque ou qu’il soit prêtre, puisque de toutes les façons il y a eu calcul. Sans doute, pour les âmes croyantes, la pensée qu’un membre du clergé a pu se livrer à un pareil com-