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règles, qui ont une relation absolue avec la race, le milieu, le moment historique. Je crois qu’il n’osera jamais aller jusque-là. Il ne pourra dire que la personnalité de Michel-Ange n’aurait pu se manifester dans un autre siècle ; il lui sera permis tout au plus de prétendre que, dans un autre siècle, cette personnalité se serait affirmée différemment ; mais ce n’est là qu’une question secondaire, le génie étant la hauteur de l’ensemble et non la relation des détails. Du moment où l’esprit frappe où il veut et quand il veut, les influences ne sont plus que des accidents dont on peut étudier et expliquer les résultats, agissant sur un élément de nature essentiellement libre, qu’on n’a encore soumis à aucune loi. D’ailleurs, puisque j’ai fait mon acte d’indifférence, je ne veux pas discuter davantage le plus ou le moins de vérité du système. Je supplie seulement M. Taine de faire une part plus large à la personnalité. Il doit comprendre, lui, artiste original, que les œuvres sont des filles tendrement aimées, auxquelles on donne son sang et sa chair, et que plus elles ressemblent à leurs pères, trait pour trait, plus elles nous émeuvent ; elles sont le cri d’un cœur et d’un corps, elles offrent le spectacle d’une créature rare, montrant à nu tout ce qu’il y a d’humain en elle. J’aime ces œuvres, parce que j’aime la réalité, la vie.

Avant de finir, il me reste à donner la définition de l’art, formulée par M. Taine. J’avoue avoir une médiocre affection pour les définitions ; chacun a la sienne, il en naît de nouvelles chaque jour, et les