Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en compagnie de riches seigneurs et de belles dames étalant leurs dentelles et leurs velours. Il se vautre avec joie dans les emportements de la chair, dans toutes les forces brutales de l’homme, dans la soie comme les guenilles, dans tout ce qui est extrême. C’est le compagnon de Rubens et de Michel-Ange, un des lurons de la Kermesse, une de ces créatures puissantes et emportées tordant leurs membres de marbres sur le tombeau de Médicis. À lire certaines de ses pages, on s’imagine un grand corps riche de sang et d’appétits, aux poings énormes, une opulente nature menant une vie de festins et de fêtes, mettant sa joie dans la splendeur insouciante de son luxe et dans la conscience de sa force herculéenne.

Et cependant, tout au fond, il y a de la fièvre. Cette santé plantureuse est factice ; cet amour du luxe large et magnifique n’est qu’un regret. On sent que l’auteur est notre frère, qu’il est faible et nu, qu’il appartient bien à notre siècle de nerfs. Ce ne peut être là une nature sanguine, c’est un esprit malade et inquiet, qui a des aspirations passionnées vers la force et la vie libre. Il y a un côté maladif et souffrant dans les peintures grasses et hautes en couleur qu’il nous donne. Il n’a pas le bel abrutissement de ces Saxons et de ces Flamands dont il parle avec tant de complaisance ; il ne vit pas en paix dans sa graisse et dans sa digestion, riant d’un rire épais. Il vit de notre vie nerveuse et affolée, il frissonne, il a l’appétit léger et l’estomac étroit, il porte le vêtement sombre et étriqué de notre âge. Et c’est alors qu’il se plaît à