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il se peut qu’il existe, qu’il ait trop de naïveté, trop de douceur, et que chez lui tous les hommes se ressemblent moralement, presque physiquement. Erckmann-Chatrian est de cette bienheureuse contrée où règne encore l’âge d’or ; il en a parlé savamment. Quant à moi, mes instincts ne me permettent pas d’accepter de tels personnages, lorsqu’ils doivent être éternels. Je ne puis, après avoir vécu en bonne intelligence avec Germinie Lacerteux, me sentir à l’aise avec l’ami Fritz.

Si Erckmann-Chatrian consentait à changer ses poupées pour des personnes vivantes, nous serions les meilleurs amis du monde. Je me trouve si bien dans ses campagnes, je respire si largement dans les horizons qu’il ouvre ! Il est vrai dans le détail, il peint avec largeur et énergie, il a un style simple, peut-être un peu négligé ; en un mot, je n’aurais pas assez d’éloges pour lui, s’il se décidait à étudier les hommes de nos jours dont il prend les sentiments pour les donner à des pantins.

On me dit qu’Erckmann-Chatrian travaille en ce moment à un récit en faveur de l’instruction obligatoire. Voilà un beau sujet pour prêcher. Je tremble de voir reparaître les Alsaciens. La société moderne est là qui attend ses historiens. Pour l’amour de Dieu, quittez l’Alsace et étudiez la France, étudiez l’homme moderne tel qu’il est, étudiez ses pensées et ses besoins, et surtout n’oubliez pas son cœur.