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qui en grandit encore l’horreur. Puis, dès que l’auteur en revient aux amours de ses héros, toute sa force l’abandonne, il balbutie, sa main tremble et il ne trouve plus un seul trait énergique. Ses œuvres gagneraient à n’être que de simples annales, une suite de tableaux détachés.

Je veux analyser les quatre ouvrages selon leur ordre historique, et non selon leur date de publication. Tous quatre se tiennent, se suivent et s’expliquent.

Madame Thérèse est le chef-d’œuvre de la seconde manière d’Erckmann-Chatrian, de même que les Amoureux de Catherine est le chef-d’œuvre de la première. Ici il y a presque roman. La partie descriptive et la partie romanesque ne font qu’une et constituent par leur union un véritable livre. Tout est pondéré, rien ne domine, et cet équilibre exquis des divers éléments d’intérêt contente le cœur et l’imagination. L’œuvre est vraiment originale ; elle est une création, le fruit mûr et savoureux d’une personnalité douce et forte à la fois. Elle a, en un mot, le mérite d’être l’expression la plus nette et la plus complète d’un tempérament. La naïveté y sied à merveille, car le récit sort de la bouche d’un enfant ; les combats y ont une allure franche et généreuse, car ce sont les combats d’une nation libre qui est encore riche de sang et de courage ; l’amour y est grand, sinon vivant, car il naît dans la poitrine d’une fille héroïque, un des types les plus nobles de l’écrivain. Heureuses les œuvres qui viennent au monde dans la floraison du talent de leur auteur !