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Fritz est une nouvelle de trois cents pages qui gagnerait à être réduite au moins de deux tiers. L’auteur a eu le bon esprit de donner de justes dimensions aux Amoureux de Catherine et il a écrit un petit chef-d’œuvre. A-t-il espéré écrire un roman en élargissant le cadre sans y mettre une action plus large, plus approfondie ? On tolère la simplicité, l’observation superficielle, la répétition des mêmes gestes et des mêmes paroles, lorsqu’on ne doit vivre que quelques minutes avec un livre. Mais lorsque le récit prend l’espace suffisant à une œuvre sérieuse et complète, on est fâché de ne trouver qu’une bluette. Les qualités se changent forcément en défauts. Ainsi, pour emplir tout un volume, nous avons l’histoire d’un célibataire, Fritz Kobus, un bon vivant qui a horreur du mariage et qui est converti au dénoûment par les yeux bleus de la petite Suzel, la fille de son fermier. Le sujet étant trop mince, l’auteur s’attarde en longues descriptions ; il refait le tableau qu’il a fait cent fois, il vous montre tout ce peuple alsacien, ivrogne et travailleur, que nous connaissons maintenant aussi bien que lui. Si encore il étudiait humainement la lutte entre l’égoïsme et l’amour de Fritz ; mais ce Fritz est un grand enfant que je ne puis prendre au sérieux. Il aime Suzel comme il aime la bière. Je ne vois dans l’œuvre qu’une fantaisie sentimentale et puérile, trop en dehors de mon âge et de moi-même pour pouvoir m’intéresser. Elle mérite un sourire.

J’ai gardé Maître Daniel Rock, car cette œuvre-là est grosse de révélations sur le talent d’Erckmann-