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teur a ses personnages qui vivent d’une vie particulière, sa nature dont les paysages se déroulent sous des cieux étrangers.

Dès qu’un écrivain de quelque mérite a écrit huit à dix volumes, il est aisé de déterminer quel monde nouveau nous est donné. Le critique ne tarde pas à découvrir le lien de parenté unissant entre eux les êtres qui se meuvent dans ces huit ou dix volumes ; il a vite sondé leur organisme, fait l’anatomie de leur âme et de leur corps, et, désormais, chaque fois qu’ils passeront devant lui, il les reconnaîtra sûrement, à certains signes caractéristiques, défauts ou qualités. De même, les horizons n’auront bientôt plus de secrets pour lui. Le critique assistera ainsi à la vie d’une création dont il pourra juger la grandeur et la réalité, en la comparant à la création de Dieu.

Pour me faire mieux comprendre, je citerai la Comédie humaine, de Balzac. Cet homme de génie dut, à un certain moment, regarder autour de lui et s’apercevoir qu’il avait des yeux excellents, allant droit à l’âme, fouillant les consciences, saisissant admirablement aussi les grandes lignes extérieures, voyant tout à la fois et le dedans et le dehors de la société contemporaine. À son appel, un monde entier sortit de terre, un monde de création humaine, n’ayant pas la grandeur du monde de Dieu, mais lui ressemblant par tous les défauts et par quelques-unes des qualités. Il y a là une société complète, depuis la courtisane jusqu’à la vierge, depuis le coquin suant le vice jusqu’au martyr de l’honneur et du devoir. La vie de