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d’une action. La leçon est terrible pour Valentine, terrible pour le public, et je jurerais, quoi qu’on dise, que bien des spectateurs et bien des spectatrices ont été troublés par cette pièce qui met en scène un des drames intimes les plus fréquents de nos jours.

En somme, je m’explique parfaitement la chute des Deux Sœurs, La pièce est tombée plus par le public que par elle-même. Pour faire passer cette vérité brutale, il aurait fallu l’envelopper dans du papier doré, avec une jolie petite devise de mirliton. Et voilà pourquoi un drame qui contient des situations puissantes, qui, je le répète, m’a paru plein d’une émotion forte, a sombré dans l’esprit de vaudeville, dans l’amour des choses admises, dans l’hostilité inconsciente d’un public venu pour assister à un insuccès.

On n’a pas besoin de conseiller le courage à M. de Girardin. Il est de ces hommes que les chutes grandissent, que les polémiques rendent plus âpres et plus jeunes. Il a voulu dans le Supplice d’une Femme, dans la première version, étudier le pardon accordé par le mari à la femme coupable ; il a voulu dans les Deux Sœurs examiner le duel entre le mari et l’amant, et en montrer l’impossibilité ; dans une troisième pièce qu’il annonce, il montrera l’assassinat permis, excusé par la loi, lorsque l’époux outragé surprend l’épouse et le complice en flagrant délit. Je ne sais si l’auteur réussira à apaiser le public irrité contre lui ; je lui souhaite une telle volonté, une telle réalité, qu’il y ait mauvaise grâce à se refuser à l’émotion et aux applaudissements. D’ailleurs, qu’il en soit cer-