Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit médiocre, elle n’en est pas moins un essai sérieux, tenté avec conscience dans le but d’agrandir l’horizon dramatique, et qui dès lors méritait une étude calme, un jugement motivé. L’art seul était en question, et non les personnes. Si l’auteur même avait donné l’exemple, la critique ne devait pas l’imiter ; elle avait la seule mission de déclarer la pièce, la tendance bonne ou mauvaise. Il y a eu effarement et risée ; je n’ai pas lu un seul compte rendu qui attaquât le drame de front ; j’ai trouvé beaucoup de plaisanteries plus ou moins spirituelles, quelques critiques de détail justes et convenables, mais pas une appréciation entière, convaincue de la pièce. Cela m’a fait songer que ces gens d’expérience qui se plaignent de la longueur des scènes, de la brutalité du dénoûment, ont une singulière façon d’employer leur expérience : ils se pâment devant un vaudeville ; ils discutent sérieusement trois méchants actes, et, lorsqu’ils ont devant eux une œuvre forte, peut-être étrange et inexpérimentée, ils s’ingénient à y trouver des sujets de moquerie. Serait-ce qu’ils ont trop d’expérience, que les couplets les ont gâtés, qu’ils ont une telle habitude de la convention et de la banalité, que tout détail vrai leur paraisse d’une gaieté folle ?

Je voudrais en finir avec cette question de l’expérience des uns et de l’inexpérience des autres. Ma foi, en cette matière, est qu’un homme inexpérimenté vaut souvent deux hommes expérimentés. Il s’agit d’avoir du talent, oui ou non, d’avoir son mot à dire et de le dire franchement. Qu’importent les quelques