Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/178

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une clef dans leur poche, se promettant de saisir la moindre inhabileté pour commencer le tapage. Ils étaient agacés par la personnalité envahissante de M. de Girardin ; en France, on a la moquerie facile pour les esprits personnels, qui ont la singulière manie d’avoir du talent et l’inexorable naïveté de chercher et d’appliquer des idées neuves. L’auteur était bien ridicule en effet ; il voulait exploiter une nouvelle veine dramatique ; il tentait courageusement d’accomplir sans apprentissage une rude besogne ; il avait la sottise profonde de tenir à ses pensées ; il venait de faire toute une campagne pour les défendre et leur assurer la victoire. Un tel homme méritait d’être sifflé d’importance, il devenait gênant, il prenait trop de place. Donc, en premier lieu, la salle était irritée, portée à railler cet homme qui lui semblait bien trop vaniteux. Mais le grand crime se trouvait surtout dans la rare imprudence d’un journaliste, d’un simple publiciste, qui se permettait de faire une pièce de théâtre, cette chose terrible. Ceux qu’on nomme les princes de la critique, certains de ces gens autorisés qui chaque lundi émettent leurs oracles, fruits d’une longue expérience, déclaraient qu’ils n’avaient jamais rien vu de pareil et que cela devait être atroce. Toute la petite presse se tenait les côtes. Rien n’était plus comique, en vérité, que cette loyale et franche bataille livrée par une main puissante aux idées reçues et immuables.

Ce qui m’a navré dans cette histoire, c’est l’accueil ironique et brutal à la fois que nous avons fait à la tentative d’un homme de talent. Admettons que l’œuvre