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perdu pour venir assassiner une pauvre pièce. Lorsque M. de Girardin a parlé de cabale, il a donné certainement un autre sens à ce mot ; il a entendu la cabale tacite, magnétique, si je puis m’exprimer ainsi, celle qui naît du sentiment commun. Il y a eu certainement cabale, si l’on veut dire par là que la salle était très mal disposée pour l’auteur, qu’elle souhaitait un insuccès, que, sans en avoir conscience peut-être, elle se trouvait là pour rire, pour aider à la chute. Je m’explique.

Je suppose que le public qui a murmuré aux Deux Sœurs se soit trouvé exactement le même que le public qui a applaudi le Supplice d’une femme. Vous voyez que je parais me rendre la besogne franchement difficile. Au Théâtre-Français, la salle est pleine, on sait que la pièce est d’un débutant, et que ce débutant est M. Émile de Girardin ; on applaudit à tout rompre. Au Vaudeville, trois ou quatre mois après, les mêmes spectateurs, devant une seconde pièce du même auteur, se moquent, haussent les épaules, se mettent à siffler. Évidemment, la pièce est mauvaise. Point du tout. Seulement les conditions de succès ont changé, il y a eu, pendant les quelques mois d’intervalle, toute une petite révolution qui devait forcément amener la chute du second drame.

Je voudrais pouvoir analyser avec délicatesse les divers sentiments des spectateurs qui se trouvaient au Vaudeville, le 12 août. Ces mêmes gens qui étaient allés au Théâtre-Français sans arrière-pensée, désireux d’applaudir, avaient certainement, le 12 août,