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de la franchise impitoyable, lorsque nous sommes seuls ; dès que nous sommes plusieurs, nous avons sans doute honte de nous-mêmes et nous aimons qu’on nous flatte, qu’on mente, qu’on voile tout ce que notre nature a d’emporté et de mauvais. De là naît ce que l’on nomme l’expérience de la scène ; l’expérience de la scène consiste à savoir mentir, à savoir donner au public le faux qui lui plaît. C’est tout un métier ; il y a mille petites roueries, mille sous-entendus, mille adoucissements ; on finit par connaître les personnages sympathiques, les situations aimées, les mots à effet. Dès lors, dès que l’on sait tout cela, on entre en plein dans la convention et la banalité ; le talent surnage quelquefois, mais il n’y a plus jet spontané. On est à la merci d’un public qui ne vous permet pas de lui dire tout ce que vous savez et qui vous force à rester médiocre. Entre les derniers venus, M. Dumas fils est un de ceux qui ont le plus osé ; mais, je le répète, il doit en être arrivé forcément au respect des décisions du public et peut-être même aux croyances de la foule en matière théâtrale.

Maintenant, imaginez un homme qui n’a pas du tout l’expérience des planches. Il ignore le public, écrit dans son cabinet, pour lui-même, et croit naïvement que ce qui le contente, lui penseur isolé, va être accepté avec enthousiasme par tout un peuple. Il ne se soucie pas des mille et une ficelles du métier ; il procède carrément, sans rien adoucir, sans rien sous-entendre, sans s’inquiéter des sympathies de la foule. Il désire seulement être vrai, logique et puissant. Il