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Je ne défends nullement ici M. de Girardin. Je n’ai pas encore dit que l’œuvre qui lui appartient soit bonne. Je tiens seulement à établir que cette œuvre, fût-elle détestable, M. Dumas fils aurait dû ou refuser la collaboration ou mieux comprendre la pièce de l’auteur, et, en tous cas, s’en tenir simplement au rôle que ce dernier désirait lui voir jouer. D’ailleurs, M. Dumas fils aura raison devant le public ; il a pour lui le succès, l’esprit et la convention, trois grandes puissances. Sa brochure est leste et méchante, écrite de verve et tout à fait convaincante. Ce n’est pas M. de Girardin qui a cette habileté de plume ; il pense juste, mais il ne flatte pas l’esprit de ses contemporains ; sa préface, d’ailleurs, a l’immense tort de renfermer des idées neuves, et cela seul le condamne aux rires des honnêtes gens. La question est jugée, je le sais ; sur dix personnes, neuf raillent agréablement M. de Girardin. Je ne viens pas juger à nouveau un procès si compromis ; je désire seulement dire mon mot en cette affaire, et je demande pardon à l’avance aux personnes qui peuvent ne pas être de mon opinion.

Voici tout le procès, tel que je le comprends : d’un côté, un novateur, un penseur qui n’a pas l’expérience des planches et qui fait une tentative pour y porter la vérité brutale et implacable, le drame de la vie avec tous ses développements et toutes ses audaces ; de l’autre côté, un auteur dramatique de mérite, un maître qui a remporté de grands succès, un homme habile et expérimenté, qui déclare que la tentative est maladroite, que la vérité brutale et im-