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Girardin ne lui avait donné ni caractères ni développements, et que l’œuvre qu’il lui avait remise n’était ni vraie ni logique. À peine dit-il en un endroit, sans appuyer d’ailleurs sur ce point capital, que les caractères ne se soutenaient pas. Il ne fallait pas, selon moi, répondre : « Vous m’avez fourni de la vérité, je vous rends de l’habileté. » Mais il fallait crier bien haut : « Votre logique et vos caractères ne valaient rien, et je les ai remplacés par des caractères plus vrais et une logique plus rigoureuse. » M. de Girardin, recherchant la collaboration de M. Dumas fils, déclarait par là même qu’il trouvait sa pièce mal faite ; il la confiait simplement à un habile metteur en scène, — je suis certain que telle était sa pensée, — et il le priait de faire les changements que les planches exigeaient. Mais jamais il n’a pu avoir la pensée de s’adjoindre quelqu’un qui dénaturât complètement son œuvre, qui en créât une nouvelle de toutes pièces. Il tenait à son drame, bon ou mauvais ; il désirait conserver son idée entière. Devant le drame nouveau, il était en droit de garder l’anonyme et de demander à son collaborateur ce qu’il avait fait de ses personnages. C’est alors que le collaborateur paraît éluder la question : « Vos personnages, dit-il, étaient périlleux et impossibles, j’ai préféré les remplacer par de charmantes petites poupées qui font la joie de la foule. » Je répète que ce n’est pas là répondre et qu’il était nécessaire, avant tout, de montrer combien la nouvelle pièce était plus vraie et plus forte que la pièce sacrifiée.