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sa vie. L’œuvre de Vauvenargues est courte et personnelle ; il a lutté plus contre la destinée que contre la vérité, on le lit sans entamer son âme, en donnant un regret et une affectueuse sympathie à cette triste et noble existence.

Les voilà donc tous les six, avec leurs physionomies diverses, ayant un même souci, mais différemment blessés dans la lutte qu’ils ont soutenue. Ils ont cherché à lire le livre sombre de la vie, ils ont voulu savoir le dernier mot de la destinée de l’homme. Leur recherche a été vaine ; ils n’ont rien trouvé, si ce n’est l’admiration de la postérité. Leur pensée a eu beau se grandir, elle n’a pu atteindre la vérité. Ce sont des géants d’intelligence devant lesquels nous nous inclinons ; mais ce ne sont pas des prophètes, et leurs paroles sont presque toujours vaines et mensongères. Je le répète, quel moraliste viendra juger ceux-ci et trouver enfin le mot de l’énigme divine ?

Je ne sais si je suis parvenu à vous donner une idée du livre de M. Prévost-Paradol. L’écrivain, en réunissant côte à côte les six moralistes français, a eu sans doute l’intention de nous offrir en quelques pages tout le fruit de l’observation et de la science de l’homme en France pendant deux siècles. J’ai cru ne pouvoir mieux faire que de vous présenter successivement les grandes figures qu’il a évoquées. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il ait eu la prétention d’apporter dans le dessin de ces grandes figures de nouveaux traits oubliés par l’histoire ; il s’est contenté de prendre les mêmes modèles et de les copier d’un