Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de scepticisme. Il cherche vraiment à nous rendre meilleurs, et essaye d’accomplir sa tâche de la façon la plus agréable possible. La lecture des Caractères fait réfléchir, sourire plus encore ; on s’émerveille des finesses, parfois des pensées profondes de l’écrivain ; on l’aime parce qu’il est sans parti pris, sans système, et qu’il se contente d’enseigner la vertu en peignant nos travers.

Le dernier portrait est celui de Vauvenargues. Le visage est fier, la tête un peu basse, comme sous le poids d’une disgrâce éternelle. On sent qu’il a souffert, comme la Rochefoucauld, des misères de l’ambition ; mais sa douleur est plus jeune, plus sympathique. Il ne s’est pas vengé des hommes en les déchirant ; il a réclamé, au contraire, les droits de la liberté humaine contre le fatalisme de Pascal, et a résumé, en quelque sorte, son œuvre et raconté sa vie dans ce titre qu’il a donné à une partie de ses écrits : « Aimer les passions nobles. » Vauvenargues, en somme, est une figure élégiaque, comparé aux cinq autres moralistes étudiés par M. Prévost-Paradol. Il y a une sorte de grâce douloureuse dans cet homme, qui « nous raconte son ambition souffrante, et, en même temps, son effort admirable et impuissant pour prendre une bonne fois en dédain tous les biens qu’il eût voulu conquérir. » Lui-même a écrit quelque part : « Si la vie n’avait point de fin, qui désespérerait de sa fortune ? La mort comble l’adversité. » Son adversité fut comblée ; il mourut jeune, sans avoir le temps de faire cette fortune qui fut le tourment de