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s’attache avec raison à nous montrer par où pèche son système. On ne peut nier que l’intérêt ne nous guide en toute chose ; mais il est des points extrêmes où l’intérêt prend les noms de sacrifice et de dévouement ; l’être s’élève au-dessus de lui-même et contente ses aspirations vers le bien et le beau, en faisant des actions nobles, dégagées de toutes basses préoccupations. La Rochefoucauld triomphe en confondant sans cesse l’égoïsme et la vertu, l’intérêt et le devoir ; il se plaît à ne montrer qu’un côté de la vérité, et, ce côté étant vrai, il nous abuse à force d’art et nous fait accepter, comme une certitude entière, une moitié, un tiers seulement de certitude. On ne saurait trop se défier de ce moraliste qui a toute la sournoiserie des gens chagrins. Heureusement, il n’a ni le charme qui attache, ni la passion qui émeut. C’est un grand talent qui s’est privé de toute affection, en niant la franchise des affections humaines.

Le cinquième médaillon est fin et délicat. M. Prévost-Paradol a compris qu’il s’adressait plus à un écrivain qu’à un penseur. L’étude qu’il a consacrée à la Bruyère est avant tout littéraire. Non pas que ce dernier ait manqué de profondeur dans ses observations, de largeur dans certains de ses aperçus ; mais il vaut surtout par le style, par la mise en scène, la nouveauté du tour. La Bruyère, selon sa propre expression, « ne tend qu’à rendre l’homme raisonnable, mais par des voies simples et communes. » Je trouve, pour ma part, cette phrase plus hardie que tous les effarements de Pascal, qui déclarait que la grâce frap-