Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/158

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est inquiète et tourmentée ; on sent sous le calme du regard une lutte de chaque minute, dans laquelle la victoire est achetée au prix des plus grandes souffrances. La croyance, dans cette pauvre âme déchirée, a été la fille du doute. Montaigne a pu se maintenir, paisible et fort, en plein scepticisme ; Pascal s’est jeté dans la foi qui l’a tué, parce que l’incrédulité le menaçait également de mort. Je ne connais pas de figure plus haute ni plus douloureuse. Nerveux à l’excès, il croit avec toute la fougue de son tempérament. Il se déchire lui-même ; il va toujours plus avant dans l’abîme de sa pensée. Il proclame le néant de la créature ; puis, épouvanté de l’ombre qu’il fait autour de lui, il demande à grands cris une lueur qui se refuse à ses yeux ; il nous conte avec des sanglots le drame terrible de la raison aux prises avec la foi. Je crains moins pour mon âme la lecture des Pensées que celle des Essais ; les cris de désespoir sont salutaires à entendre, et jamais je ne me donnerai à un homme qui ne se possède pas lui-même. J’ai pitié, je ne puis fraterniser. Une telle lecture peut m’émouvoir jusqu’aux larmes ; elle ne me convaincra jamais. Je tremblerai à la vue des immenses profondeurs qu’un mot va ouvrir sous mes pieds, mais je me rejetterai en arrière ; et, en aucun cas, je ne consentirai à me précipiter dans le gouffre, les yeux fermés. Je voudrais, en deux mots, au risque de passer pour une pauvre intelligence, dire l’effet que m’a toujours produit une page de Pascal. Je me suis senti effrayé de mon incrédulité, et plus encore de ses croyances ; il m’a donné des