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entier à l’homme ; elles font de lui le centre, le but de la création. Une pensée d’orgueil nous a guidés dans les explications que nous avons données de l’univers, et ce qui prouve que les religions sont nos œuvres, c’est que toutes elles tendent à l’exaltation de l’homme et qu’elles sacrifient l’œuvre entière à son profit. Dieu doit être autrement juste envers cette terre qui lui a déjà coûté tant de siècles. Nous, nés d’hier, nous disparaissons dans l’immense famille des créatures et nous devenons l’être du moment, le plus parfait si l’on veut, mais non le dernier peut-être.

Au lieu d’affirmer que le ciel et la terre ont été créés uniquement à notre usage, nous devons penser plutôt que nous avons été créés à l’usage du grand Tout, de l’œuvre qui s’élabore depuis le commencement des temps. Nous allons ainsi vers l’avenir, simple manifestation de la vie, phase de la créature, faisant avancer d’un pas la création vers le but inconnu. Il y a je ne sais quelle grandeur, quelle paix suprême, quelle joie profonde, dans cette idée que Dieu travaille en nous, que nous préparons la terre et l’être de demain, que nous sommes un enfantement et qu’au dernier jour nous assisterons, avec l’univers entier, à l’achèvement de l’œuvre.

On ne saurait, au début d’une histoire des hommes, éveiller de plus grandes pensées. J’aime à voir mettre, en face de nos luttes orgueilleuses, notre commencement et notre fin, ce qui nous a précédé et ce qui nous suivra sans doute. Les annales des âges antérieurs viennent nous assigner notre véritable place