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lait. Ses rudes pieds ne savent galoper que sur le roc, ils glissent sur la mousse. Il n’a plus ses allures libres, et dès lors, lui, le noble cheval, qui hennit si fièrerement, il prend un petit trot maniéré qui fait peine à voir. Vous souvenez-vous du grand Corneille, pataugeant dans les déclarations d’amour, dans ces scènes de politesse et d’étiquette que lui imposait le mauvais goût du temps ? Je songeais à cette maladresse ridicule du vieux tragique, en lisant certaines pièces des Chansons des rues et des bois. On ne vit pas impunément les yeux fixés sur les mystérieuses horreurs de l’inconnu. Lorsqu’on veut ensuite parler simplement des choses simples, il arrive que l’on dépasse le but et que la simplicité devient de la recherche.

L’œuvre entière est ainsi la vision étrange qu’un prophète, qu’un poète savant et puissant, a faite devant les campagnes. Il s’y est donné tel qu’il est, excessif et obscur parfois, hasardant tout, cherchant les audaces, les trivialités, même les grosses plaisanteries. Il parle de la banlieue de Paris comme Dante a parlé du ciel et de l’enfer ; il s’est largement installé dans l’idylle, bousculant tout, mettant à contribution les astres et les fleurs, faisant une dépense effrayante de lumière et d’ombre, apportant dans l’églogue les cris et les grands mots de l’ode, changeant de sujet sans changer de manière, restant prophète quand même, et parlant du moindre brin de mousse avec des solennités écrasantes.

Les Chansons des rues et des bois sont une des faces nécessaires et fatales de ce génie tumultueux, plein