Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/110

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pas à vouloir changer une créature pour la créer de nouveau au gré de vos caprices ; étudiez-la telle qu’elle est, montrez-la nous dans sa réalité, n’ayez pas la sotte pensée de croire que le ciel, en nous la donnant plus parfaite, nous l’aurait donnée plus grande.

Chaque fois que je vais rendre compte d’un livre, je me sens l’impérieux besoin de faire ma profession de foi, tellement je crains qu’on ne se trompe sur mes intentions. Je ne me donne la mission ni d’approuver ni de blâmer ; je me contente d’analyser, de constater, de disséquer l’œuvre et l’écrivain, et de dire ensuite ce que j’ai vu. Je suis simplement un curieux impitoyable qui voudrait démonter la machine humaine, rouage par rouage, pour voir un peu comment le mécanisme fonctionne et arrive à produire de si étranges effets.

Pour quiconque a étudié cette machine puissante, sujette à des détraquements grandioses, qui nous a donné les Feuilles d’automne et les Misérables, Hernani et les Contemplations, il n’y a pas dû avoir de surprise dans la lecture des Chansons des rues et des bois. Victor Hugo, marchant dans les prairies de Tibulle, devait y marcher d’un pas étrange, avec de la violence contenue et un effarement déguisé à grand’peine. Le livre est, je le répète, le produit logique, inévitable, d’un certain tempérament mis en présence d’un certain sujet. Je ne me prononcerai pas sur le mérite absolu de l’œuvre, puisque je ne crois pas qu’une œuvre d’art puisse avoir un mérite absolu ; mais j’expliquerai la