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différemment. C’est ainsi que l’art marche dans les siècles, toujours mis en œuvre par des hommes nouveaux, ayant toujours des expressions nouvelles au milieu de nouvelles sociétés.

En présence de cet enfantement continu, en présence de ces milliers d’œuvres qui toutes sont filles uniques, je vous demande un peu s’il n’est pas puéril de monter en chaire et de dicter gravement des préceptes. Songez donc au ridicule personnage que vous jouez, lorsque vous vous écriez : « Moi, je n’aurais pas fait ainsi, — Ce n’est pas le ton de l’idylle, — J’espérais tout autre chose… » Et que nous importe ce que vous auriez fait, ce que vous espériez ! Vous comprenez étrangement le métier de critique, à mon avis. Nous ne vous demandons pas vos impressions ; chacun de nous a les siennes qui valent les vôtres et qui ne prouvent rien de plus que les vôtres. Vous êtes juge, vous n’êtes plus homme ; vous avez la seule mission d’étudier dans une œuvre un certain état du génie humain ; vous devez accepter toutes les manifestations artistiques avec un égal amour, comme le médecin accepte toutes les maladies, car dans chacune de ces manifestations vous trouverez un sujet à analyse et à étude physiologique et psychologique. Le grand intérêt n’est pas telle œuvre ou tel auteur ; il s’agit, avant tout, de la vérité humaine, il s’agit de pénétrer l’esprit et la chair, de reconstruire dans sa vérité un homme aux facultés particulières et puissantes. Contentez-vous, pour l’amour de Dieu ! de cette simple besogne d’anatomiste ; ne vous fatiguez