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d’un voleur ayant des mains, et que des mains pouvaient saisir. En un clin d’œil, les pensées de Marner se portèrent sur tous les voisins qui avaient fait des remarques ou des questions de nature à être maintenant interprétées comme des motifs de soupçon. Il y avait Jacques Rodney, braconnier bien connu, et ne jouissant pas d’une bonne réputation sous d’autres rapports : il s’était souvent rencontré avec Marner, lorsque celui-ci faisait ses courses à travers les champs, et il s’était permis quelques plaisanteries au sujet de l’argent. De plus, il avait irrité Marner, un jour qu’étant entré chez lui pour allumer sa pipe, il s’était attardé près du feu, au lieu de s’en aller à ses affaires. Jacques Rodney était le voleur : il y avait quelque soulagement dans cette pensée. On pouvait trouver Jacques et lui faire rendre l’argent. Marner ne voulait pas le punir, mais seulement recouvrer l’or qui s’était éloigné de lui, laissant son âme dans un isolement semblable à celui d’un voyageur égaré dans un désert inconnu. Il fallait mettre la main sur le voleur. Les idées de Marner sur l’autorité de la loi étaient confuses, cependant il sentait qu’il devait aller déclarer le vol, et les grands personnages du village — le pasteur, le constable[1] et le squire Cass — feraient rendre à Jacques Rodney ou à toute autre personne, l’argent volé. Stimulé par cette espérance, il s’élança au dehors dans la pluie, oubliant de se couvrir la tête et ne s’inquiétant pas de barrer sa

  1. Officier de police en Angleterre. (N. du Tr.)