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arrivée à Raveloe, il avait toujours eu une grande cruche de terre brune, qu’il conservait comme l’ustensile le plus précieux qu’il possédât parmi les commodités bien rares qu’il s’était octroyées. Cette cruche avait été sa compagne pendant douze années. Elle était toujours restée debout au même endroit, et elle lui avait toujours prêté sa poignée de bonne heure le matin, de sorte que la forme de ce vase revêtait aux yeux de Silas l’expression d’une obligeance empressée. De plus, le contact de la poignée dans le creux de sa main, lui procurait un plaisir inséparable de celui d’avoir de l’eau fraîche et limpide. Un jour qu’il revenait du puits, il trébucha contre la traverse d’une barrière, et la cruche brune, tombant avec force sur les pierres qui formaient la voûte d’un fossé situé au-dessous, se cassa en trois morceaux. Silas les ramassa et les rapporta chez lui, le chagrin dans l’âme. La cruche ne pouvait plus être utile ; toutefois, il en raccorda les morceaux, et, comme souvenir, il étaya cette ruine à son ancienne place.

Telle est l’histoire de Silas Marner jusqu’à la quinzième année de son séjour à Raveloe. Tout le long du jour il était assis à son métier, les oreilles remplies de son bruit monotone, les yeux tout à fait rapprochés du lent progrès du tissu uniforme et brunâtre. Le mouvement de ses muscles se répétait à des intervalles si égaux, que leurs pauses semblaient être une gène presque aussi grande que l’arrêt de sa res-