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ron, — pas de mes paroissiens, — une espèce de lourdaud, mais assez adroit, qui le lui a rebouté aussitôt après l’accident. En somme, c’est moi et Primrose qui avons eu le plus de mal. Les genoux du cheval sont en sang ; il paraît qu’il a mis le pied dans un trou et qu’il a lancé Rex par-dessus sa tête.

Gwendolen avait repris sa sérénité après avoir appris que le bras de Rex était remis ; les dernières paroles de son oncle ranimèrent sa bonne humeur ; le sourire se fit jour sur ses lèvres, puis elle partit d’un bruyant éclat de rire.

— Vous êtes vraiment cruelle de rire ainsi du malheur des autres, dit M. Gascoigne avec un sentiment désapprobateur, mais bien plus indulgent que s’il n’avait pas eu de sérieuses raisons d’être satisfait.

— Pardonnez-moi, mon oncle, je vous en prie. Maintenant que Rex est en bon état, c’est si drôle de s’imaginer la figure qu’il devait faire avec Primrose, tout seul dans un sentier — et un forgeron qui court après eux… Une vraie caricature de la chasse !

Gwendolen avait une haute idée d’elle-même et de sa supériorité, qui lui permettait de rire là où d’autres n’auraient vu qu’un sujet d’être sérieux. Le rire convenait si bien à son visage ! Son oncle même ne trouvait pas surprenant qu’un garçon se fût laissé fasciner par cette jeune magicienne, — peut-être plus nuisible que l’on aurait pu le désirer.

— Comment peux-tu te moquer et rire de semblables choses, mon enfant ? dit madame Davilow, encore sous le coup de son inquiétude. Nous n’aurions pas dû te permettre d’avoir un cheval. — Vous voyez, ajouta-t-elle en faisant un signe de tête à M. Gascoigne, que nous avons eu tort — moi, du moins, — de l’encourager à vous le demander.

— Sérieusement, Gwendolen, dit M. Gascoigne, du ton judicieux d’un homme raisonnable parlant à une personne qu’il croit raisonnable, je vous recommande de toutes mes forces de ne pas recommencer votre aventure d’aujourd’hui.