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— Voulez-vous dire que vous ne vous marierez jamais ?

— Non, je ne dis pas cela ; seulement, si je me marie, je ne ferai pas comme les autres femmes.

— Vous feriez tout ce que vous voudriez si vous épousiez un homme qui vous aimât plus que tout au monde, dit Rex qui cherchait à arriver sur le terrain où il espérait vaincre. — J’en connais un comme cela.

— Pour Dieu, s’écria Gwendolen, pendant qu’une rapide rougeur envahissait son visage et son cou, ne me parlez pas de M. Middleton ! C’est la chanson d’Anna ; je la connais. Mais j’entends les chiens. Partons.

Elle lança son bai brun au galop, et Rex n’eut d’autre alternative que de la suivre. Gwendolen savait bien que son cousin était amoureux d’elle, mais sans penser que cela pût tirer à conséquence. Tout en désirant que ce petit roman durât jusqu’à la fin du séjour de Rex à Pennicote, elle s’opposait à ce qu’on lui fit une déclaration d’amour formelle. Elle en éprouvait comme une répulsion involontaire, et à son besoin d’être adorée venait se mêler une certaine chasteté farouche.

Toutes pensées s’évanouirent bientôt devant la scène qui se passait aux Trois-Granges. Bon nombre de chasseurs la connaissaient et lui firent l’accueil le plus gracieux. Le grand air, l’agitation, la course enivraient Gwendolen. Jamais elle n’avait suivi de chasse, et, lorsqu’une fois elle avait dit qu’elle aimerait à le faire, on lui avait répondu par une défense formelle : sa mère, à cause du danger qu’elle redoutait ; son oncle, parce qu’il considérait ce violent exercice comme malséant pour une jeune fille. Du reste, nulle femme bien posée ne suivait la chasse dans le Wessex, si ce n’est madame Gadsby, l’épouse du capitaine de louveterie, qui avait été cuisinière et qui conservait les allures et le langage de sa première condition. Ce dernier argument seul produisit de l’effet sur Gwendolen et la tint sus-