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que feraient probablement d’autres personnes, je me dirai que vous agiriez d’une façon contraire. Malgré vous, j’arriverai à la probabilité. Vous voyez que vous ne pourriez pas me surprendre.

— Je le pourrais très bien, en changeant d’idée et en faisant ce qui est probable.

— Vous ne pouvez échapper à un genre de probabilité et la contradiction est la plus forte des probabilités. Il faut renoncer à votre plan.

— Non pas ! Mon plan est de faire ce qui me plaît.

Ces paroles de Gwendolen auraient fait l’effet d’une dissonance sur la douce nature de Rex s’il avait été moins amoureux ; mais il les considérait comme de l’humour et de la fine raillerie, et il était anxieux d’arriver au point qui l’intéressait.

— Pouvez-vous aussi ne ressentir que ce qui vous plaît ?

— Assurément non ; mais, si le monde était plus agréable, on ne ressentirait que ce qui est agréable. La vie des jeunes filles est stupide : jamais elles ne font ce qu’elles veulent.

— Je croyais que c’était plutôt le cas des hommes. Il faut qu’ils se livrent à de durs travaux ; on les persécute souvent et on les fait souffrir. Si nous adorons une jeune fille, nous sommes obligés de faire ce qu’elle veut, et après tout, c’est vous qui faites ce qui vous plaît.

— Je ne crois pas. Je n’ai jamais vu de femme mariée agir à sa guise.

— Qu’aimeriez-vous à faire ? dit Rex inquiet.

— Je ne sais trop. Aller au pôle Nord, courir les steeple-chases, être reine en Orient, comme lady Ester Stanhope, dit étourdiment Gwendolen. Mais en ce moment elle n’aurait pu répondre sérieusement.