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— Je serais son obligée s’il voulait m’indiquer mes défauts, répondit Gwendolen en reprenant son assurance. Je puis dire que j’ai été mal enseignée et que je n’ai point de talent ; seulement, j’aime la musique.

— Oui, c’est vrai, vous avez été mal enseignée, dit Herr Klesmer. — La femme lui était chère, mais la musique lui était plus chère encore. — Cependant vous n’êtes pas sans qualités. Vous chantez juste et vous avez un assez bel organe. Mais vous émettez mal le son, et la musique que vous chantez est au-dessous de vous. C’est une forme mélodique qui prouve un état de culture puéril… quelque chose de somnolent, d’affecté, de maniéré,… la passion et la pensée d’un être qui n’a aucune largeur d’horizon. Il n’y a là dedans rien de profond, de mystérieux, pas de sentiment de l’universel. Cette musique rapetisse ceux qui l’écoutent. Chantez-nous quelque chose de plus large, et je verrai.

— Oh ! pas maintenant ; plus tard, dit Gwendolen le cœur un peu gros, en pensant au vaste horizon ouvert devant ses petites perfections musicales ; — car, pour une jeune femme qui veut commander, cette première rencontre au début de sa campagne était décourageante. Mais elle était obligée d’agir avec circonspection et miss Arrowpoint vint à son secours en disant :

— Oui, plus tard. J’ai toujours besoin d’une demi-heure pour retrouver mon courage après avoir été critiquée par Herr Klesmer. Nous allons lui demander de nous jouer quelque chose maintenant, il est tenu de nous montrer ce que c’est que la bonne musique.

Pour obéir à cette injonction polie, Herr Klesmer joua que de ses compositions intitulée : Freudvoll, Leidevoll, Gedankenvoll[1], développement de quelques idées mélo-

  1. Ces trois mots, qui signifient « plein de joie, de peines, de pensées », forment le commencement de la romance que chante Claire dans l’Egmont de Gœthe. (N. du trad.)