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un gentleman qui s’approchait, arrêta la conversation de la vieille dame et de la trop prompte jeune lady, qui avait exagéré sa naïveté.

— Ah ! voici Herr Klesmer, dit madame Arrowpoint en se levant, et le présentant à Gwendolen. Elle les laissa se livrer à un dialogue qui fut agréable pour tous deux. Herr Klesmer était une heureuse combinaison d’Allemand, de Slave et de Sémite, avec de grands traits bien marqués, des cheveux bruns et flottants, selon la mode des artistes, et des yeux noirs avec des lunettes. Il prononçait l’anglais avec un petit accent étranger, et, pour le moment, il cachait son mérite alarmant sous un certain air de niaiserie douce que le génie revêt quelquefois, dans son désir d’être agréable à la beauté.

Bientôt on fit de la musique. Miss Arrowpoint et Herr Klesmer exécutèrent un morceau à quatre mains sur deux pianos ; ce qui convainquit la société, en général, qu’il était long, et Gwendolen, en particulier, que miss Arrowpoint, avec sa figure placide et insignifiante, possédait un talent magistral ; ce qui, nous devons le dire, ne la découragea nullement en pensant à son propre toucher et à son style que l’on avait si souvent loués. Après ce morceau, chacun se montra désireux d’entendre Gwendolen, particulièrement M. Arrowpoint, parfait gentleman, dont on ne pouvait rien dire de plus qu’il avait épousé miss Cuttler, et qu’il importait les meilleurs cigares. Il la conduisit au piano avec une aisance polie. Herr Klesmer la vit approcher avec un sourire de contentement, et alla s’asseoir à quelque distance pour la voir chanter.

Gwendolen n’était pas nerveuse, elle accomplissait sans trembler tout ce qu’elle entreprenait, et chanter était pour elle presque une jouissance. Sa voix de soprano d’un timbre modéré (quelqu’un lui avait dit qu’il ressemblait à celui de Jenny Lind) et son oreille assez bonne la rendaient